Archives mensuelles : décembre 2007

Le concours

Les lecteurs d’équilibre précaire connaissent bien le blog de Céleste. Pour ceux qui ne le connaitrient pas, je vous le recommande. Ces derniers temps, elle est particulièrement inspirée. Des billets où elle évoque la haine ordinaire qui « ronge, détruit, tue, pousse aux pires bassesses ». Il est aussi question d’un court métrage auquel elle et son compagnon participent.

Céleste enseigne le français à Bologne, en Italie. Il se trouve qu’elle travaillait le 24 décembre. Elle raconte l’étrange concours administratif  où elle a siégé dans le jury.

Matin du 24 Décembre, veille de Noël, je fais partie d’un jury. C’est dans une administration italienne. Huit candidates postulent à un poste d’employée et nous devons sélectionner la plus compétente. Un petit boulot de rien du tout, ou presque, aide comptable, un truc du genre. Un contrat d’un an, 900 euros mensuels (au maximum).
Bref, pas la panacée.
En tant qu’experte je suis chargée, même pas d’évaluer le niveau de certaines d’entre elles en français (les autres ont choisi anglais ou espagnol), non, simplement de vérifier qu’elles n’ont pas menti en écrivant sur leur CV qu’elles ont étudié la langue de Molière à un moment de leur existence.

Je suis en compagnie d’un prof de droit, d’un autre d’informatique, d’un troisième de je ne sais trop quoi, d’une américaine made in New York, d’un avocat espagnol fort sympathique et du président du jury, un cadre ventripotent et pseudo polyglotte, officiant dans l’administration en question.
Et c’est de sa bouche moustachue, alors que j’ai consciencieusement préparé des textes et des questionnaires destinés à évaluer le niveau des candidates sans les mettre en difficulté, que j’apprends, lors de son petit speech préliminaire au jury, la nature exacte du concours : une pantomime.
En fait, les « gagnantes » du jour ont déjà été sélectionnées et nous ne sommes là que pour entériner une décision prise en amont.
Là-dessus le Monsieur nous explique brièvement qu’il n’y est pour rien, que deux des candidates passent le concours « en interne » qu’elles ont à ce titre reçu une formation et qu’il est hors de question de ne pas les sélectionner.
Et alors pourquoi faire un concours ?
« Parce que, répond le Monsieur en levant les yeux au ciel, dans l’administration, c’est comme ça ! »

Là-dessus arrive Stefania, la première candidate, tirant une valise à roulettes qu’elle laisse au fond de la salle. Agée d’une trentaine d’années elle est originaire de Reggio de Calabre, tout là bas, dans le sud. Pour étudier à Bologne, la docte ville où se cristallisent les espoirs de réussite, elle partage depuis des années un appartement avec d’autres étudiantes. Elle est lauréate en sciences politiques et en droit. A peine le concours fini elle prendra un autobus, ou un train, pendant dix, douze heures, pour aller fêter Noël avec sa famille. Il est tard, sans ce concours elle serait déjà chez ses parents depuis deux jours.
Mais une perspective de boulot dans une administration, ça ne se refuse pas, même pour seulement un an, même mal payé, même en étant surdiplômée par rapport à la nature de l’emploi.
Très bien préparée, elle répond brillamment aux questions. Elle a bossé pour réussir ce concours. Je la sens tendue, extrêmement concentrée – ne pas faire d’erreurs. Les questions sur le fonctionnement de l’administration sont alambiquées, sous couvert de bonhomie le moustachu embrouille l’affaire. Mais Stefania ne s’en laisse pas compter, précise, rapide, elle aligne ses réponses. Entre deux interrogatoires elle respire à fond pour retrouver le calme.

C’est mon tour : « O Dio ! me dit-elle, il francese ! » Elle sourit mais je sens qu’elle est inquiète. Et moi, complice de cette mascarade, je suis mal à l’aise au possible. Son niveau de français n’est pas formidable, mais qu’importe, rien de ce qu’elle peut dire ce matin ne changera la décision de la commission. Est-elle une des deux candidates déjà sélectionnées ? Je ne le crois pas, mais par contre je sais qu’elle veut ce boulot, qu’elle en a besoin.

Les candidates défilent. Aucune n’est aussi brillante que Stefania. Certaines sont aussi beaucoup plus désinvoltes, décontractées.
Seulement deux d’entres elles sont originaires de Bologne. Alors que les autres, filles venues du sud ou du centre, sont bardées de diplômes, elles n’ont fréquenté que le lycée. Leurs réponses sont approximatives, mal formulées.

Carlotta est la dernière, pâle et jolie sous de longs cheveux blonds. Son regard inquiet parcourt fébrilement le jury qui va, croit-elle, décider de son sort. Comme Stefania, elle a étudié pour réussir ce concours. Comme Stefania, un autobus l’attend pour la porter en Calabre. Comme Stefania, elle a étudié à Bologne.
Elle ce fut le cinéma. Mais quand on vient d’une famille modeste de Calabre, on peut bien avoir étudié n’importe quoi, on ne trouve pas un travail correspondant à ses études.
Elle est émue, Carlotta. Elle se mord les lèvres en écoutant les questions et au fur à mesure qu’elle parle, une plaque rouge, montant de son décolleté, s’étale sur son cou gracile où palpitent les veines.
Elle termine par l’épreuve d’anglais, elle a vécu plusieurs mois à Londres, son niveau est bon, elle sourit.
C’est fini, elle soupire de soulagement, consciente, comme Stefania, d’avoir réussi l’épreuve.

Les résultats seront affichés en fin de matinée, ou disponibles sur Internet dans l’après midi.

Moi par contre, je les connais immédiatement. Stefania et Carlotta ont obtenu les meilleurs scores, mais pas les emplois.
Ceux-ci, comme par hasard, ont été attribués aux deux petites bolognaises. Mignonnes et charmantes, et ayant sans nulle doute elles aussi besoin de travailler.
Mais quelle cruauté d’avoir laissé croire aux autres candidates en une possibilité de réussite, en une possibilité de travail !

Et je les imagine, Stefania, Carlotta et les autres, déçues de découvrir sur Internet, après cet interminable voyage de retour vers la terre natale, que malgré la qualité de leurs réponses, malgré les heures d’études, elles n’ont pas été sélectionnées.

Des larmes peut-être, Noël assombri.

Quand le moustachu nous informe des résultats, l’Américaine, l’Espagnol et moi sommes les seuls à réagir. Pour les autres membres du jury, c’est normal.

Normal de jouer avec l’espoir de ces jeunes femmes qui ont besoin de travailler.
Normal de faire passer un concours dont les résultats sont pipés.

C’est l’Italie, conclut d’un ton d’indifférence résignée le prof de droit.

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Joyeux Noël ?

Nous souhaitons un joyeux Noël à l’ensemble des lecteurs (et rédacteurs !) d’Equilibre Précaire.

En gardant une pensée pour ceux qui ne réveillonneront pas. Bizarrement, je pense surtout, cette année, à ceux qui sont seuls, qui vont se dépêcher d’engloutir un repas banal pour oublier leur solitude en regardant des âneries télévisées.

Allez ! Bonnes fêtes de fin d’année.

(Nicolas)

Heures supplémentaires ou RTT payées ? L’encouragement au travail précaire

Merci à Juan, de Sarkofrance, pour ce texte qu’il nous a adressé.
Le candidat Sarkozy a longtemps usé de raisonnements simples, centrés sur des exemples individuels pour convaincre les électeurs du bien-fondé de ses propositions. Prenons-le au mot, également simplement, pour essayer de comprendre comment un employeur peut réagir aux récentes applications du slogan de campagne « Travailler plus… », de la défiscalisation partielle des heures supplémentaires (depuis le 1er octobre) à la monétisation (plafonnée) des jours de RTT (débattue actuellement).

Premier exemple, si vous êtes salarié à temps partiel mais à durée indéterminée. Si votre employeur vous propose des heures supplémentaires, à savoir au-delà de celles prévues au contrat de travail, l’employeur peut « transformer » votre travail en temps complet sans avoir à en payer le coût social (en termes de cotisations) : un salarié au 4/5 avec 1/5 d’heures supplémentaires systématiques sera moins cher qu’un salarié à temps complet normal.
A votre avis, quel sera l’impact pour l’emploi ? Cela favorisera-t-il les embauches à temps complet ?
Pour le salarié, cela représente certes davantage de rémunération nette d’impôt, mais aussi davantage de précarité : dans notre exemple, le 1/5 de temps supplémentaire n’est pas garanti.

Second exemple, vous travaillez déjà plus de 35 heures (comme 60% des salariés du secteur privé) : votre employeur bénéficie immédiatement d’une défiscalisation de cotisation sociale sur les heures supplémentaires à la durée légale. Sans impact sur le travail fourni, cette mesure améliore la marge de l’entreprise, le pouvoir d’achat du salarié (au moins temporairement), et dégrade les comptes sociaux (sécurité sociale, retraite).

Troisième exemple : vous êtes employeur et le temps des éventuelles augmentations annuelles est arrivés. Vous pourriez décider de récompenser d’une augmentation de salaire un collaborateur méritant. Mais si vous lui proposiez plutôt un quota d’heures supplémentaires pour l’année à venir (d’autant moins vérifiables quand les horaires ne sont pas pointés), vous seriez gagnant ! Pas de cotisation sociale ni d’impôt sur le revenu sur ces heures supplémentaires : voici une solution moins coûteuse.

Quatrième exemple : vous n’êtes pas salarié.
Et bien, circulez, y-a-rien à voir…

La précarité n’est pas vendeuse

(Nicolas)

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Ce magnifique graphique ne représente pas l’évolution du nombre de précaires en France mais la fréquentation de ce blog depuis un mois. Voyez la fabuleuse augmentation en toute fin. Et encore, pour hier, ça a commencé à 22h57 et j’ai récupéré la « copie d’écran » à 8h32 ce matin : la journée n’est pas finie. C’est à me dégoûter de mener un « combat politique » sur mon blog et ici ! Heureusement que mes collègues des Vigilants (comme peuples.net qui fait ce matin un beau billet sur les 35 heures) sont là me remonter le moral !

Je pense que les lecteurs habituels d’Equilibre Précaire viennent y chercher des beaux textes sur la précarité et sont eux-mêmes très sensibles au sujet. Néanmoins, par quelques lignes, je vais essayer de les sensibiliser (de vous sensibiliser !) à la goujaterie de la blogosphère.

 

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Nicolas et Mohamed

Qui est Nicolas? Ce n’est pas celui auquel vous pensez. Lui, il a autre chose à faire.
Nicolas, c’est Nicolas Voisin, ce fantastique créateur de sites internet, ce reporter qui a animé Nues blog et le Politic show, et qui lance 18h35, un JT sur le web.

Et Mohamed? Un SDF? Un homme tout simplement, comme vous, comme moi et comme Nicolas. A voir sur Nues blog.

File-moi ton oseille et j’t’offre les saucisses cocktails

Ce blogueur nous a envoyé un billet de son blog par email. « étant un artiste sans emploi, je suis très concerné par la précarité », écrit-il. La situation des artistes,

Mais ça va pas la tête? Qu’est-ce que c’est cette façon de faire?
On a déjà vu un Jérôme qui offre de l’argent pour décrocher un meilleur poste, voilà un misérable constat, et ce depuis quelques années maintenant, des artistes qui doivent désormais payer pour être diffusés. Pire que de proposer une rançon pour un contrat précaire (un CDI), aprés une période noire vers la fin des années 90 durant laquelle un dj pouvait encore espérer jouer dans un bar pour 500 petits francs, aujourd’hui plus aucun musicien se voit proposer une rémunération en échange d’un concert de deux heures dans l’une des caves de Bordeaux, seuls endroits encore un peu vivants dans cette ville.

Je vous parle des artistes locaux qui galèrent comme des malades pour concurrencer les têtes d’affiches qui défilent en boucle dans les grandes salles, ou des graphistes et des peintres qui se voient contraints de louer un espace, de payer leur communication et leur vernissage pour jouir du privilège d’exposer dans une crêperie!

Alors quoi, c’est parce-que l’art est définitivement un loisir, une activité de dilettante, un refuge pour les fainéants?

Sachez grands curieux que le mot fainéant vient du sud de la France et qu’il signifie littéralement « faire néant ». Mais cela ne veut pas pour autant dire « ne rien faire », tout au contraire. Cela veut dire que le fruit de son travail sert dans sa totalité pour la subsistance et qu’il ne génère aucun bénéfice, aucun profit qui dépasserait la somme nécessaire pour assurer le quotidien.
Cela désigne un statut d’indépendant qui ne gagne pas assez pour épargner mais qui vit de son activité.

Voilà à quoi aspire nombre de demandeurs d’emploi, intermitents (ça existe encore ça?) et rmistes qui n’en sont pas moins des artistes, expérimentés, autodidactes ou diplômés, travaillant dur pour composer un album, mettre en page un book, monter une exposition, dessiner un fanzine, écrire et storyboarder un film ou designer une collection d’objets ludique et contemporaine.

C’est baveux de dire une chose aussi désuète et cependant, l’Art est aussi essentiel à la vie que peut l’être une bonne douche aprés la cueuillette des haricots. Et comme les conserves du supermarché, il disparait dans les méandres du jetable et de la médiocrité du « Vu à la télé ». L’Art, le vrai, est réaliste, improvisé, travaillé, et jamais une finalité. Il est une valeur fidélisante et personnalisante que bien des établissements à Bordeaux devraient ajouter et intégrer à leur politique de gestion.
Car il est ma foi tout de même logique que le gérant d’un tel établissement ait une once d’ambition et élabore une vraie stratégie pour découvrir et supporter les talents qui feront de son troquet une légende.

Les classes moyennes se sentent menacées par le chômage

Je vous renvoie vers cette interview de Régis Bigot du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).

Par ailleurs, on peut consulter avec intérêt le site de l’Observatoire des inégalités.

Laurence Parisot et la précarité

Merci à Ellie d’avoir enregistré sur son blog cette chronique de Frédéric Bonnaud. Il parle de précarité et de Laurence Parisot, la présidente du Medef, qui parle si bien de précarité. A écouter et à lire chez Ellie

Une conseillère à déconseiller

L’histoire que Marie nous a envoyée par courriel est éloquente. Précisions toutefois qu’il ne faut pas généraliser. Ce n’est pas parce qu’une personne enfreint la règle qu’il faut en tirer des conclusions. Et si l’histoire de Marie prouvait simplement qu’aujourd’hui tout le monde est mis en concurrence avec tout le monde, vraiment tout le monde?

No comment

Près de 10% des sujets dans un état proche du scorbut, 25% victimes d’hypertension, 20% de femmes anémiées, 56% des personnes de l’échantillon concernées par l’obésité ou le surpoids… Ce sont les chiffres chocs issus d’une enquête réalisée par l’Institut de Veille Sanitaire auprès d’un millier de personnes ayant recours aux distributions de colis alimentaires. La suite sur Actuchomage.