Pamina, la secrétaire en emploi-solidarité

Ce texte nous a été adressé par Zoridae. Un lecteur de son blog lui a conseillé: « tu pourrais envoyer ce texte à « équilibre précaire » , c’est un beau texte , juste et vivant; un sujet tellement d’actualité ». Merci, Zoridae!

La secrétaire de l’école où je fais difficilement mes sept heures par semaine, gagne dans les 800 euros par mois ; c’est un emploi-solidarité car Pamina est une ancienne RMiste et son salaire est pris en charge, à 85%, par l’état.

Notre directeur à toutes les deux me l’avait décrite comme une allumée, une hystérique un peu neuneu qu’il ne garderait sûrement pas lorsque l’état ne payerait plus son salaire.

Un jour, elle m’avait demandé un renseignement par mail et celui-ci était ponctué de smileys de toutes les couleurs. Certains mots étaient écrits en rose ou en jaune, en gras, en souligné. Je l’avais lu avec beaucoup de condescendance, la pauvre secrétaire, quelle naïveté de croire que dans le travail on peut envoyer des messages aussi kitsch ! J’avais pensé à ce que m’avait dit le directeur et, sans me le formuler, j’avais compris son avis.
Une autre fois, elle m’avait appelée et son discours était flou, ses paroles maladroites, j’avais juste entendu sa naïveté et son mal être, beaucoup de colère aussi.

J’avais imaginé le regard du directeur de l’école de musique, 25 ou 26 ans, beau et soigné dans ses costumes trois pièces, cynique, acerbe, la peau glabre et le teint frais, devant un mail aussi fleuri. Aurait-il souri, comme moi, ou se serait-il fâché ?

« Elle a une seule qualité, m’avait-il dit, elle est d’accord pour travailler ! Parce que pour ce poste, j’ai rencontré de nombreux candidats, tous RMistes et aucun ne voulait travailler : les horaires ne convenaient pas ou c’est le salaire ou le lieu. Ils finissaient par refuser. »
Mon élève étant, aujourd’hui en retard, j’ai pu converser avec Pamina et j’ai été époustouflée de découvrir une personne intelligente, passionnée de journalisme, de culture, satisfaite de son existence mais perplexe devant les limites qui lui sont imposées désormais par son âge. Je l’imaginais autrement, avec un pull rose et des lunettes assorties, la bouche pincée, riant, ponctuant ses phrases d’un rire aussi ostentatoire qu’un smiley animé. Elle avait un pull rose et des cheveux bruns magnifique, des dents abîmées qu’elle dévoilait souvent en un sourire sincère. Elle ne riait pas souvent.

« A 18 ans, secrétaire diplômée, dans mon premier emploi, j’ai tout de suite senti que je ne pourrais pas rester toute ma vie au même endroit, au même poste. Alors j’ai étudié et je suis allée ailleurs. Puis j’ai de nouveau étudié et j’ai continué mon chemin. A cinquante ans les choses se sont compliquées, j’ai perdu un emploi et je n’ai pas réussi à en trouver un autre. J’ai senti que je ne pouvais plus faire comme avant. De toutes façons le corps ne veut plus, je suis fatiguée, j’ai envie de stabilité. Mais je ne trouve pas, c’est l’âge qui coince. J’ai 53 ans.« 

« Tous les matins je cherche un emploi à temps partiel pour compléter celui-là. Je peux tout faire, je peux travailler dans tous les domaines : BTP, informatique, j’apprends vite, je n’ai fait que ça toute ma vie alors… Mais c’est l’âge qui coince, on me trouve trop vieille. « 

« J’ai 53 ans, alors… »

« Une chose, qui m’aurait plu c’est être globe-trotter. Voyager et écrire. Reporter. Pas reporter de guerre mais reporter à l’étranger. « 

Cinq minutes après : « Au retour des vacances, je rigole (elle éclate de rire), les gens, gentiment me demandent Alors vous en avez profité ? Vous êtes partie quelque part ? et je rigole, je rigole car moi, vous savez, je ne pars jamais nulle part. Non, je ne pars jamais mais je voyage dans ma tête. Mes vacances je les organise : j’écoute les émissions culturelles que j’adore à la radio, je vais me promener, je lis… En fin de compte, j’ai l’impression d’être partie moi aussi, et d’avoir voyagé ! »

Et vous, me demande-t-elle ?

17 réponses à “Pamina, la secrétaire en emploi-solidarité

  1. ouachhh, c’est frais comme témoignage, a quand les vidéos pour montrer aux seides de la réforme TINA la vérité..

  2. à la fois triste et émouvant… les gens comme Pamina me redonne parfois confiance en l’espèce humaine… pour 30 secondes…

  3. Le silence après la lecture de ce témoignage, c’est encore du Pamina…
    Tiens, cadeau, pour agrémenter la relecture: « http://www.youtube.com/watch?v=bSrNilao4ms&feature=related#

  4. Quelle fraîcheur et quel optimisme ! À rapprocher des torrents de vomi que nous offrent jour après jour les gangsters qui tiennent les médias.

  5. Il y en a tant des « Pamina », et tant d’employeurs ayant ce ton hautain et ce dédain pour des personnes comme elle qui sont la gaité de vivre et le bonheur tout court.

    Vive Pamina !

  6. Pingback: ….Section socialiste de l’île de Ré » Blog Archive » Pamina, la secrétaire en emploi-solidarité

  7. Un superbe texte que je me suis permis de reprendre dans mon blog politique
    avec cette petite intro :
    Ce texte a été adressé à Equilibre précaire par Zoridae.
    Ceux qui me connaissent savent que j’ai l’immense honneur de présider une association d’insertion, dans l’île de Ré où hélas il n’y a pas que des nababs. Cela s’appelle “La Verdinière”, et j’en suis très fier.
    Les problèmes d’emploi, d’insertion sociale et professionnelle, les contrats aidés et les gens qui les occupent, je connais assez bien. Dans ces associations, on fait des rencontres étonnantes, gratifiantes, on découvre d’incroyables parcours de vie. On y voit des personnes brisées qui grâce à ces contrats décriés. et en voie de disparition, se reconstruisent et vivent dignement de leur travail.
    C’est pourquoi je suis très heureux de vous faire partager ce texte magnifique. Merci beaucoup Zoridae.

    Salut fraternel à dagrouick je je croise décidément dans toutes les bonnes page…

  8. nos sociétés nouvelles sont impitoyables pour ceux et celles (celles encore plus) qui n’ont pas suivi tout au long de leur vie les chemins balisés, tracés, obligatoires.
    elles ne sont pas tendres en général avec qui ne représente plus (ou pas) une « force de travail » exploitable et n’est pas non plus consommateur assidu.

    arriver à « j’aurais aimé » et comprendre (savoir) que ces rêves là ne seront jamais réalisés, est quelque chose d’infiniment triste

  9. OK, Il faut par respect pour elle, lui dire la vérité : elle est dans une impasse.
    Le secrétariat, il faut à priori qu’elle laisse tomber. A 53 ans, on est encore jeune, donc bilan de compétence et formation dans des métiers ou on embauche. Y en a pas ? Vous etes sur ?

  10. @ Mistral : tiens, monsieur l’entrepreneur ! Vous vous proposez pour lui payer une formation, à Pamina ? Parce que « lui dire la vérité », comme vous dites, c’est bien joli, mais c’est un peu court. D’autant qu’elle doit s’en bien s’en douter toute seule, qu’elle est dans une impasse. Et l’ANPE a dû lui en faire passer, des bilans de compétence !

    L’ennui, c’est que les autres employeurs ont l’air de la trouver trop vieille…

    Comme elle dit : “Tous les matins je cherche un emploi à temps partiel pour compléter celui-là. Je peux tout faire, je peux travailler dans tous les domaines : BTP, informatique, j’apprends vite, je n’ai fait que ça toute ma vie alors… Mais c’est l’âge qui coince, on me trouve trop vieille. “

    Bref, Mistral, apprenez

    Faudrait que les gens qui veulent allonger la durée du travail accordent leurs violons avec ceux qui trouvent les plus de 50 ans inemployables ou trop difficiles à former pour un changement de métier…

  11. Pingback: Vous vous passerez d’elle « Equilibre précaire

  12. Il est difficile de parler de quelqu’un sans connaitre la personne.
    Je ne connais pas Pamina donc je ne la juge pas, mon propos est une ertrapolation de son cas.
    Je suis persuadée que dans des métiers comme dans l’hotellerie il existe des débouchés.
    Il va falloir apprendre dans ce pays que tout le monde ne peut pas devenir fonctionnaire.

  13. il est vrai que tout le monde ne peux pas être ni fonctionnaire , ni patron d’entreprise , ni salarié du privé une fois l’âge passé. Il faudrait que vous VIVIEZ réellement cette vie pour savoir ce que vous- même ,exactement feriez à la place de Pamina.. peut-être la même chose !!
    Vous savez travailler dans la restauration demande certaines habiletés manuelles que tout le monde n’a pas. Tenez , si un patron de restau m’embauchait aujourd’hui , il vaudrait mieux qu’il prenne une assurance « spéciale casse » , non pas par manque de bonne volonté . j’ai juste un gros défaut , je suis vraiment malhabile.
    Même par obligation de travaillée , je me suis retrouvée licenciée. Ce n’atait vraiment pas ma voie.. Avec mention de choisir un autre secteur d’activité.

  14. Comme Christie, le travail en hotellerie me parait très difficile…
    Pamina dit qu’elle est fatiguée, qu’elle a envie de se poser. Je crois qu’elle a juste besoin de trouver une place sûre, un CDI correct.
    (Je précise qu’elle n’a, pour l’instant, aucune chance de devenir fonctionnaire puisque l’école dans laquelle nous travaillons toutes les deux, est une petite école privée.)

    Puis, Pamina est contente de son travail. Elle se sent secrétaire jusqu’au bout des ongles, elle parle avec animation de tous les programmes informatiques qu’elle a dû ingurgiter, de tous les codes propres à chaque nouvelle entreprise qu’elle a appris. Elle aime découvrir, apprendre.

    Bien sûr, parfois, elle s’embrouille un peu. Mes feuilles d’horaire sont toujours différentes et il y a des erreurs. Mais pas sûre que ce soit sa faute. Connaissant notre directeur, elle n’a peut-être pas eu de formation, elle doit manquer d’outils et il passe toujours en coup de vent sans répondre aux questions qu’on lui pose…

  15. De toute façon le problème de l’emploi des quinqua est un problème en soi.
    Le but est de culpabiliser les personnes au maximum et mettre dans la tête de tout un chacun que si la personne ne travaille pas c’est qu’elle le veut bien , elle n’a qu’à aller ramasser les salades dans les Pyrénées-Orientales , cueillir les pruneaux d’Agen, les pommes en Normandie , ou bien autre boulot aléatoire.. C’est tellement plus facile de dire « c’est parce qu’elle ne veut pas travailler » Toutes ses affirmations amènent à justifier les rognes sur le social..Cela fait parti d’un plan bien précis , dresser les gens les uns contre les autres pour mieux régner.

  16. D’où je suis, je vois bien la difficulté qu’ont les gens, à partir de cinquante ans, pour trouver du taf. Pour les postes de managers haut placés, pour les gros cadres, ce n’est pas pareil, le costard et le cheveux gris impose le respect. Mais pour l’employé de base, pas question, pas assez flexible, saura pas s’adapter, trop plan plan, voudra terminer tôt le soir pour voir ses petits enfants, etc. C’est des non dits, et j’exagère à dessein, bien sûr, mais c’est malheureusement la tendence…

    Quand j’entends des gens dire : « il faut que les français changent ! ils sont rétifs au changement !  » J’aimerais bien qu’ils prennent leur conseil au pied de la lettre et bouleversent un peu leur pensée-reflexe.

  17. témoignage très réaliste.

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